vendredi 22 juin 2018

Etre femme et choisir

           Féminine de mère en fille et féministe convaincue depuis quelques années, je suis parvenue à m'émanciper des prénotions ancrées dans mes mœurs, tenaces et irréfutables. Et parlons-en de cet adjectif «féminine» que j'ai osé utiliser pour amorcer cet article. Que signifie t-il réellement? Existe t-il une attitude que l'on pourrait qualifier propre à la femme et qui ne pourrait pas se retrouver dans l'humain à phallus? 


            Elevée avec l'admiration pour les bijoux, le maquillage et les jolies robes de ma génitrice, j'ai toujours côtoyé l'imaginaire de suivre le modèle de femme gracieuse: docile et apprêtée, calme et polie. Puis j'ai rencontré la garçonne au détour des pages de Très chère Sadie écrit par Sophie Kinsella. Le coup de foudre fut immédiat. Comme une évidence, tout m'inspirait chez elle: sa façon de se mouvoir, de s'habiller, de se coiffer et d'être, libérée d'un poids qui pesait lourd sur la femme depuis trop longtemps. La femme est alors devenue mon sujet de prédilection. Malgré le fait que je concevais la femme comme l'égale de l'homme, je n'avais jamais remis en cause les inégalités et les jugements de valeurs dont elle était victime. Non loin de les accepter, j'étais profondément fataliste et je les trouvais irrémédiables. Néanmoins, il arrive un moment où je n'ai plus été d'accord, où j'ai peut-être muri et j'ai décidé de ne plus concevoir cet héritage de l'histoire de la femme comme indétrônable. Ainsi, j'ai commencé à me poser des questions sur l'impact que l'on pouvait avoir sur ce phénomène avec lequel on naissait et avec lequel on vivait. De la sorte, c'est dans cet esprit-là que j'ai commencé à me documenter sur le genre, en affirmant que la femme n'est pas un objet, la femme ne doit pas tendre vers des caractéristiques jugées propres à son sexe, la femme ne mérite pas «moins». La femme est libre.

            Il était important pour moi de comprendre d'où venait ces incohérences perpétrées sur ce genre humain et pourquoi, au XXIe siècle, je pouvais à la fois voter, décider de ma vie, m'exprimer librement, contrôler mon corps et ressentir tous les jours la domination masculine que Bourdieu analyse. Entre le droit de vote, le droit à la contraception et à l'avortement, le droit au travail ainsi qu'à celui de divorcer, la femme, bien qu'intégrée dans des lois souvent redondantes, n'a pas toujours vécu ces progrès-là dans la réalité. Or, c'est cela que l'on observe aujourd'hui encore avec les lois sur la parité en politique tout comme celles sur les égalités au travail. Après les lois du 6 juin 2000 et celle du 23 mars 2006, les femmes sont toujours sous-représentées dans les hautes fonctions et notamment dans la politique (147 femmes sont députées sur 577) et l'écart de salaires est toujours considérable. Nous avons observé que ce fameux «plafond de verre» était un obstacle entretenu par les mœurs que la législation ne permettait pas de régulariser. Comment donner aux jeunes filles l'envie d'entrer dans la politique si l'image de la femme dans ce secteur n'est qu'un cas isolé ? S'il semble fondamental de tenter d'évoluer grâce à la législation, la promotion de la notion d'égalité paraît décisive dans l'éducation et la formation des individus. Prendre en compte l'éducation dans la construction des valeurs et normes intégrées par les futurs citoyens pourrait aider à mieux comprendre certains comportements.

            «On ne naît pas femme, on le devient» disait Simone de Beauvoir dans son essai titré Le deuxième sexe. Dans sa vision existentialiste, l'autrice démontre bien la puissance de la sociologie dans la construction identitaire. Les modèles traditionnels subsistent et affaiblissent l'impact des mutations. Les personnes sont contraintes à vivre avec des stéréotypes qui rendent l'émancipation difficile. Il n'est pas rare de voir une représentante de la gente féminine dans une position inférieure comme on l'a vu dans la peinture, la littérature mais aussi dans les médias. La tendance du porno-chic, provenant des Etats Unis des années 70, s'est emparée des publicités de luxe (Calvin Klein, Gucci) pour perpétuer l'image de la femme asservie, objet de toutes les pulsions. Dès lors, comment contredire les idées du XIXe siècle de Proudhon? Pornocratie ou la femme dans les temps modernes publié en 1875 souligne qu'une femme ne peut pas faire d'enfant quand son esprit et son cœur se préoccupent des choses de la politique, de la société... A l'heure actuelle, sa représentation demeure reliée à un corps sous la domination masculine et destiné aux travaux domestiques ni reconnus et ni rémunérés. Dans Mythologies publié en 1957, Roland Barthes énonce à travers l'exemple du catalogue de jouets que les coutumes sociétales prédisposent l'enfant à devenir un adulte. Il dénonce en même temps la ségrégation sexiste, les pages roses destinées aux petites filles s'occupant de dînette et poupons et les pages bleus pour les petits garçons bricoleurs et aventuriers. Roland Barthes évoque avant l'heure la théorie du genre apparue dans les années 70 et introduite en sociologie par Ann Oakley consistant à donner à un sexe des caractéristiques non biologiques que l'autre sexe n'a pas. L'humain présentant un taux d'oestrogènes élevé devrait se résoudre à être instinctivement maternel, dévoué à sa famille et plus apte aux tâches ménagères. Or cette idéologie commune tend à s'instituer dans nos pratiques comme une notion innée et naturelle alors qu'elle a été construite sociologiquement. 

            D'autre part, j'ai été tristement étonné d'apprendre les origines du féminisme. «Etat d'un homme qui présente des traits psychologiques attribués à la femme à la suite d'un arrêt du développement» était la définition que l'on pouvait trouver dans des encyclopédies dès le XIXe siècle. Le féminisme n'était déjà pas un comportement accepté par la société et la garçonne des années folles n'était rien d'autre qu'une monstruosité scientifique renvoyée au même rang que Clémentine Delait et ces femmes à barbe que l'on venait voir dans les foires. Accolée à cette définition des moins élogieuse, la revendication des droits de la femme s'est faite connaître, par exemple, à travers les suffragettes britanniques. En regardant Les Suffragettes de Sarah Gavron, j'ai été marquée par la détermination des activistes qui étaient prêtes à perdre leur famille, faire la grève de la faim pour faire entendre leur voix afin d'acquérir le droit de vote en Angleterre. Elles n'étaient pas ces femmes qui demandaient le droit de vote autour d'une cup of tea comme Mary Poppins les a dépeints. J'ai trouvé cela très motivant de voir que les changements pouvaient surpasser la profondeur des inégalités. C'est ce que déclare la réalisatrice concernant le message de son film: «On peut dire ce que l'on pense en tant que femme, on est pas obligé de se taire». Il est important de se battre pour ce que l'on croit être juste et «s'imposer dans un milieu viril sans cesser d'être soi-même» comme Jeanne d'Arc, d'après un article d'Agoravox. Dans toutes les époques, il a existé des femmes qui ont décidé qu'elles ne se soumettraient plus au patriarcat. Si les travailleuses de l'industrie du textile prenaient la rue aux Etats-Unis en 1909 pour revendiquer «du pain et des roses», les femmes n'ont pas cessé d'agir pour leurs droits et le progrès des mœurs. Les Femen se sont élevées en 2008 en Ukraine suite à l'Euro 2006 où des visas étaient délivrés à des Ukrainiennes dans un but de prostitution. Elles n'étaient pas qu'un corps nu qui se rebellait contre une société oppressante par pure provocation. Elles se sont mises en scène pour renverser le stigmate de la femme de l'Est disponible dont le marché de la prostitution raffole. Ces Femen incarnent un féminisme hautement critiqué et qui attire l'attention médiatique par leurs "actes de violence". Par mes recherches personnelles, j'ai été surprise de voir qu'hormis quelques sillages de croix, drapeaux salafistes brulés et la destruction de la statut du charmant chef d'Etat Poutine au musée Grévin avec un pieu en bois en l'insultant de «dictateur», ces femmes n'avaient pas grand-chose à se reprocher.

            Le féminisme et les religions ... Le premier Epître à Timothée en parlant de la femme déclare que celle-ci est «créée seconde, mais première dans le péché et rachetée par sa maternité» quand l'islam n'autorise pas la femme à participer à la première prière et que le judaïsme demande aux hommes de remercier Dieu de «ne pas l'avoir fait goy, esclave, femme». On y voit alors une différenciation certaine entre l'homme et la femme, entretenant les inégalités et une image maîtrisé de l'humain à vagin.

            Si je me suis arrêtée longuement sur les différents mouvements féministes que j'ai trouvé passionnant à étudier, il m'a paru essentiel de terminer sur les mouvements anti-féministes et conclure sur ma position d'aujourd'hui. Carla Bruni, interviewée par le magazine Vogue disait : « Dans ma génération, on n'a pas besoin d'être féministe. Il y'a des pionnières qui ont ouvert la brèche. [...] J'aime la vie de famille [...] Je suis une vraie bourge!». Outre le fait que Simone de Beauvoir était bourgeoise et curieusement féministe, nous pointons ici un réel souci auquel doit faire face les féministes: l'ignorance. La féministe des temps modernes ne passe pas ses journées à arpenter les églises en topless ou à brûler ses rasoirs pour cultiver sa pilosité en signe d'émancipation. Le mouvement 2.0 nommé Women Against Feminism s'attache ainsi à décrédibiliser le féminisme, dissimulant les vraies causes défendues. Ces anti-féministes postent des photos d'elle avec une pancarte débutant par «Je n'ai pas besoin de féminisme car...». Les justifications sont aussi variées que farfelues, démontrant une profonde incompréhension du féminisme: «Je n'ai pas besoin de féminisme car les hommes ne devraient pas être effrayés d'exercer leur liberté d'expression». Féminisme et censure ? Pas certaine qu'ils soient synonymes ces deux-là... 


            Pour conclure, aujourd'hui, j'apprécie les jolies attentions que peuvent me faire les hommes, je raffole d'inviter mes voisins testostéronés quand je cuisine des lasagnes, j'aime mettre des jupes et me maquiller mais j'aime surtout être libre de revendiquer mes droits malgré les pressions sociales. Le féminisme est aussi varié que les opinions personnelles le sont mais il est pour moi, avant tout, le droit irréfutable à la liberté et à la tolérance. Le droit de dire merci à toutes ces femmes qui se sont battues pour mes libertés, comme le droit de continuer à me battre. Etre féministe c'est avoir le droit de choisir.

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