Féminine
de mère en fille et féministe convaincue depuis quelques années, je suis
parvenue à m'émanciper des prénotions ancrées dans mes mœurs, tenaces et
irréfutables. Et parlons-en de cet adjectif «féminine» que j'ai osé utiliser
pour amorcer cet article. Que signifie t-il réellement? Existe t-il une attitude
que l'on pourrait qualifier propre à la femme et qui ne pourrait pas se
retrouver dans l'humain à phallus?
Elevée avec l'admiration pour les
bijoux, le maquillage et les jolies robes de ma génitrice, j'ai toujours côtoyé
l'imaginaire de suivre le modèle de femme gracieuse: docile et apprêtée, calme
et polie. Puis j'ai rencontré la garçonne au détour des pages de Très chère
Sadie écrit par Sophie Kinsella. Le coup de foudre fut immédiat. Comme une
évidence, tout m'inspirait chez elle: sa façon de se mouvoir, de s'habiller, de
se coiffer et d'être, libérée d'un poids qui pesait lourd sur la femme depuis
trop longtemps. La femme est alors devenue mon sujet de prédilection. Malgré le
fait que je concevais la femme comme l'égale de l'homme, je n'avais jamais
remis en cause les inégalités et les jugements de valeurs dont elle était
victime. Non loin de les accepter, j'étais profondément fataliste et je les
trouvais irrémédiables. Néanmoins, il arrive un moment où je n'ai plus été
d'accord, où j'ai peut-être muri et j'ai décidé de ne plus concevoir cet
héritage de l'histoire de la femme comme indétrônable. Ainsi, j'ai commencé à
me poser des questions sur l'impact que l'on pouvait avoir sur ce phénomène
avec lequel on naissait et avec lequel on vivait. De la sorte, c'est dans cet
esprit-là que j'ai commencé à me documenter sur le genre, en affirmant
que la femme n'est pas un objet, la femme ne doit pas tendre vers des
caractéristiques jugées propres à son sexe, la femme ne mérite pas «moins». La
femme est libre.
Il
était important pour moi de comprendre d'où venait ces incohérences perpétrées
sur ce genre humain et pourquoi, au XXIe siècle, je pouvais à la fois
voter, décider de ma vie, m'exprimer librement, contrôler mon corps et
ressentir tous les jours la domination masculine que Bourdieu analyse. Entre le
droit de vote, le droit à la contraception et à l'avortement, le droit au
travail ainsi qu'à celui de divorcer, la femme, bien qu'intégrée dans des lois
souvent redondantes, n'a pas toujours vécu ces progrès-là dans la réalité. Or,
c'est cela que l'on observe aujourd'hui encore avec les lois sur la parité en
politique tout comme celles sur les égalités au travail. Après les lois du 6
juin 2000 et celle du 23 mars 2006, les femmes sont toujours sous-représentées
dans les hautes fonctions et notamment dans la politique (147 femmes sont
députées sur 577) et l'écart de salaires est toujours considérable. Nous avons observé que ce fameux «plafond de verre» était un obstacle
entretenu par les mœurs que la législation ne permettait pas de régulariser.
Comment donner aux jeunes filles l'envie d'entrer dans la politique si l'image
de la femme dans ce secteur n'est qu'un cas isolé ? S'il semble fondamental de
tenter d'évoluer grâce à la législation, la promotion de la notion d'égalité
paraît décisive dans l'éducation et la formation des individus. Prendre en compte l'éducation dans la
construction des valeurs et normes intégrées par les futurs citoyens pourrait
aider à mieux comprendre certains comportements.
«On ne naît pas femme, on le
devient» disait Simone de Beauvoir dans son essai titré Le deuxième sexe.
Dans sa vision existentialiste, l'autrice démontre bien la puissance de la
sociologie dans la construction identitaire. Les modèles traditionnels
subsistent et affaiblissent l'impact des mutations. Les personnes sont
contraintes à vivre avec des stéréotypes qui rendent l'émancipation difficile.
Il n'est pas rare de voir une représentante de la gente féminine dans une
position inférieure comme on l'a vu dans la peinture, la littérature mais aussi
dans les médias. La tendance du porno-chic, provenant des Etats Unis des années
70, s'est emparée des publicités de luxe (Calvin Klein, Gucci) pour perpétuer
l'image de la femme asservie, objet de toutes les pulsions. Dès lors, comment
contredire les idées du XIXe siècle de Proudhon? Pornocratie ou la femme
dans les temps modernes publié en 1875 souligne qu'une femme ne peut pas
faire d'enfant quand son esprit et son cœur se préoccupent des choses de la
politique, de la société... A l'heure actuelle, sa représentation demeure
reliée à un corps sous la domination masculine et destiné aux travaux
domestiques ni reconnus et ni rémunérés. Dans Mythologies publié en
1957, Roland Barthes énonce à travers l'exemple du catalogue de jouets que les
coutumes sociétales prédisposent l'enfant à devenir un adulte. Il dénonce en
même temps la ségrégation sexiste, les pages roses destinées aux petites filles
s'occupant de dînette et poupons et les pages bleus pour les petits garçons
bricoleurs et aventuriers. Roland Barthes évoque avant l'heure la théorie du
genre apparue dans les années 70 et introduite en sociologie par Ann Oakley
consistant à donner à un sexe des caractéristiques non biologiques que l'autre
sexe n'a pas. L'humain présentant un taux d'oestrogènes élevé devrait se résoudre
à être instinctivement maternel, dévoué à sa famille et plus apte aux tâches
ménagères. Or cette idéologie commune tend à s'instituer dans nos pratiques
comme une notion innée et naturelle alors qu'elle a été construite
sociologiquement.
D'autre part, j'ai été tristement
étonné d'apprendre les origines du féminisme. «Etat d'un homme qui présente des
traits psychologiques attribués à la femme à la suite d'un arrêt du
développement» était la définition que l'on pouvait trouver dans des
encyclopédies dès le XIXe siècle. Le féminisme n'était déjà pas un comportement
accepté par la société et la garçonne des années folles n'était rien d'autre
qu'une monstruosité scientifique renvoyée au même rang que Clémentine Delait et
ces femmes à barbe que l'on venait voir dans les foires. Accolée à cette
définition des moins élogieuse, la revendication des droits de la femme s'est
faite connaître, par exemple, à travers les suffragettes britanniques. En
regardant Les Suffragettes de Sarah Gavron, j'ai été marquée par la
détermination des activistes qui étaient prêtes à perdre leur famille, faire la
grève de la faim pour faire entendre leur voix afin d'acquérir le droit de vote
en Angleterre. Elles n'étaient pas ces femmes qui demandaient le droit de vote
autour d'une cup of tea comme Mary Poppins les a dépeints. J'ai
trouvé cela très motivant de voir que les changements pouvaient surpasser la
profondeur des inégalités. C'est ce que déclare la réalisatrice concernant le
message de son film: «On peut dire ce que l'on pense en tant que femme, on est
pas obligé de se taire». Il est important de se battre pour ce que l'on croit
être juste et «s'imposer dans un milieu viril sans cesser d'être soi-même»
comme Jeanne d'Arc, d'après un article d'Agoravox. Dans toutes les époques, il
a existé des femmes qui ont décidé qu'elles ne se soumettraient plus au
patriarcat. Si les travailleuses de l'industrie du textile prenaient la rue aux
Etats-Unis en 1909 pour revendiquer «du pain et des roses», les femmes n'ont
pas cessé d'agir pour leurs droits et le progrès des mœurs. Les Femen se sont
élevées en 2008 en Ukraine suite à l'Euro 2006 où des visas étaient délivrés à
des Ukrainiennes dans un but de prostitution. Elles n'étaient pas qu'un corps nu qui se rebellait contre une
société oppressante par pure provocation. Elles se sont mises en scène pour
renverser le stigmate de la femme de l'Est disponible dont le marché de la
prostitution raffole. Ces Femen incarnent un féminisme hautement critiqué et qui attire l'attention médiatique par leurs "actes de violence". Par mes recherches
personnelles, j'ai été surprise de voir qu'hormis quelques sillages de croix,
drapeaux salafistes brulés et la destruction de la statut du charmant chef
d'Etat Poutine au musée Grévin avec un pieu en bois en l'insultant de
«dictateur», ces femmes n'avaient pas grand-chose à se reprocher.
Le féminisme et les
religions ... Le premier Epître à
Timothée en parlant de la femme déclare que celle-ci est «créée seconde, mais
première dans le péché et rachetée par sa maternité» quand l'islam n'autorise
pas la femme à participer à la première prière et que le judaïsme demande aux
hommes de remercier Dieu de «ne pas l'avoir fait goy, esclave, femme». On y
voit alors une différenciation certaine entre l'homme et la femme, entretenant
les inégalités et une image maîtrisé de l'humain à vagin.
Si je me suis arrêtée longuement sur
les différents mouvements féministes que j'ai trouvé passionnant à étudier, il
m'a paru essentiel de terminer sur les mouvements anti-féministes et conclure
sur ma position d'aujourd'hui. Carla Bruni, interviewée par le magazine Vogue disait : « Dans ma
génération, on n'a pas besoin d'être féministe. Il y'a des pionnières qui ont
ouvert la brèche. [...] J'aime la vie de famille [...] Je suis une vraie
bourge!». Outre le fait que Simone de Beauvoir était bourgeoise et curieusement
féministe, nous pointons ici un réel souci auquel doit faire face les
féministes: l'ignorance. La féministe des temps modernes ne passe pas ses
journées à arpenter les églises en topless ou à brûler ses rasoirs pour
cultiver sa pilosité en signe d'émancipation. Le mouvement 2.0 nommé Women
Against Feminism s'attache ainsi à décrédibiliser le féminisme, dissimulant
les vraies causes défendues. Ces anti-féministes postent des photos d'elle avec
une pancarte débutant par «Je n'ai pas besoin de féminisme car...». Les
justifications sont aussi variées que farfelues, démontrant une profonde
incompréhension du féminisme: «Je n'ai pas besoin de féminisme car les hommes
ne devraient pas être effrayés d'exercer leur liberté d'expression». Féminisme et censure ? Pas certaine qu'ils soient synonymes ces deux-là...
Pour conclure, aujourd'hui,
j'apprécie les jolies attentions que peuvent me faire les hommes, je raffole
d'inviter mes voisins testostéronés quand je cuisine des lasagnes, j'aime
mettre des jupes et me maquiller mais j'aime surtout être libre de revendiquer
mes droits malgré les pressions sociales. Le féminisme est aussi varié que les
opinions personnelles le sont mais il est pour moi, avant tout, le droit irréfutable
à la liberté et à la tolérance. Le droit de dire merci à toutes ces femmes qui
se sont battues pour mes libertés, comme le droit de continuer à me battre.
Etre féministe c'est avoir le droit de choisir.